Difficile en ce moment de trouver l’inspiration pour écrire sur des thèmes professionnels. Ma timeline Twitter me propose bien quelques sujets que je pourrais développer, mais ces idées me paraissent bien ternes comparées aux émotions que m’apporte le suivi des événements tunisiens et égyptiens de ces dernières semaines.
Le rôle des médias sociaux dans ces révoltes populaires a été largement commenté, et des idées fort intéressantes ont émergé. Au delà du rôle de ces outils dans la diffusion de l’information ou dans la coordination des actions, l’idée qui m’a le plus interpellé est sans doute celle de la coordination des humeurs, exprimée par Clay Shirky. En effet, savoir que des gens, partout dans le pays, partagent mes souffrances et la volonté d’y mettre un terme peut donner le courage de descendre dans la rue, face à des régimes totalitaires et violents.
L’accélération de la globalisation grâce aux médias sociaux
Mais je pense que les médias sociaux ont joué un autre rôle, sans doute à plus long terme, et qui reste finalement peu commenté. Ils sont un accélérateur extraordinaire de la globalisation, en particulier dans le domaine culturel. J’ai rencontré, depuis que je suis installé au Maroc, de nombreuses personnes qui ont toujours vécu au Maroc et desquelles je me sens bien plus proche culturellement que de beaucoup de français. Ils regardent le Superbowl, écoutent du hip-hop indé, connaissent les Anonymous et ont diffusé le mème #jeansarkozypartout. Inutile de chercher bien loin la source de cette proximité culturelle: ce sont les médias sociaux. C’est un peu comme si les échanges internationaux que l’on fait au collège ou au lycée étaient démocratisés et démultipliés.
Les médias sociaux n’offrent pas des visions caricaturales ou manipulées des modes de vies et des pratiques culturelles des autres pays. Quand un internaute rapporte une émotion, présente une idée nouvelle ou partage un morceau de musique, on sait que c’est sincère, ou tout du moins que c’est le reflet de l’image qu’il veut donner de lui même. Les idéologues de tous poils ne peuvent plus manipuler les informations en provenance de l’étranger pour imposer leurs idées.
Quel rôle a joué cette accélération de la globalisation culturelle ?
Elle a tout d’abord permis à toute une génération de toucher du doigt la liberté qui existe dans de nombreux pays. La censure peut parfois être sournoise, mais quand je rencontre de nombreuses personnes qui se partagent des vidéos sur Youtube qui me sont inaccessibles, c’est tout de suite bien plus concret. Tout comme quand je tombe au milieu d’un débat passionné sur la médiocrité d’un gouvernement sur Twitter, et que je sais très bien qu’un même débat serait impossible au café en bas de mon immeuble. Je peux également rencontrer des gens qui vivent bien mieux quand moi dans des pays pourtant pas beaucoup plus riches que le mien. Bref, la situation de mon pays me semble tout de suite bien plus claire. Ce n’est ni un réalisateur de film qui me vend du rêve, ni un politique qui essaie de me manipuler avec une information sortie de son contexte. C’est mon pote sur Twitter, avec qui je discute souvent, qui me l’a dit.
Maintenant que je suis bien décidé à me battre pour vivre comme ces gens que je rencontre sur Facebook ou Twitter, je peux aussi me rendre compte que tous ces gens me soutiennent dans le combat que je m’apprête à mener. Si des gens, partout dans le Monde, me soutiennent, ça veut dire aussi que leurs gouvernements n’auront d’autres choix que de me soutenir. Et ils ont un pouvoir énorme sur les décisions de mon gouvernement. Ça, c’est Wikileaks qui me l’a dit. En aucun cas, ils ne laisseront mes dirigeants réprimer notre révolte dans un bain de sang. Il faut bien venir d’un pays riche, d’ailleurs, pour avoir peur de la globalisation, parce que 30 ans en arrière, un tel mouvement de contestation se serait très simplement soldé par un énorme massacre.
Le rôle des émotions
Il y a quelques jours, juste après la chute de Ben Ali, j’avais écrit un article très spontané sur les émotions que ces twitts d’inconnus tunisiens me faisaient ressentir. J’ai mis un peu de temps à saisir la portée de ces sentiments qui se diffusent globalement. Non seulement il n’est plus possible de filtrer les informations qui sortent d’un pays (il est plus simple de contrôler quelques journalistes que des populations entières), mais en plus, ces informations directes, personnelles, sont bien plus efficaces pour favoriser une prise de conscience mondiale, grâce à leur portée émotionnelle.